Phénotypage digital en santé mentale : apports et limites

Les éléments présentés dans cet article s’appuient sur l’intervention du Pr Ludovic Samalin lors de la Journée Nationale de l’Innovation en Santé Numérique 2025 (12 novembre, Cité Internationale Universitaire de Paris), ainsi que sur les échanges avec le Dr Gabriel Robert, Chloé Geoffroy et le public autour des biomarqueurs et phénotypes digitaux en psychiatrie. Le phénotypage digital en santé mentale consiste à utiliser les données passives issues des smartphones et objets connectés pour observer, en continu, l’évolution des troubles psychiques.

Phénotypage digital en santé mentale : pourquoi maintenant ?

Depuis quelques années, les smartphones, montres connectées et capteurs produisent des données inédites sur l’activité, le sommeil, les déplacements ou les routines quotidiennes. Pour le Pr Ludovic Samalin, ces données constituent « un nouveau niveau de granularité clinique, impossible à obtenir en consultation ». Elles permettent d’observer non seulement l’évolution des symptômes, mais aussi des signaux faibles : baisse d’activité, modification du rythme veille–sommeil, isolement progressif, etc. Ces éléments sont au cœur du phénotypage digital, une approche qui transforme ces données en indicateurs utiles pour le dépistage, le suivi ou la prédiction de rechute.

Des exemples concrets : apports réels et limites actuelles du phénotypage digital

Plusieurs projets illustrent ce potentiel :

  • Le suivi de patients souffrant de dépression, où des changements d’activité mesurés par une montre connectée précèdent parfois l’aggravation des symptômes ou la rechute.
  • Des modèles de phénotypes numériques permettant d’identifier des profils à risque de TDAH via des patterns comportementaux.
  • Des outils de télé-surveillance capables d’alerter une équipe lorsqu’un patient s’éloigne de son niveau de fonctionnement habituel.

Ces approches ne remplacent pas l’évaluation clinique, mais ajoutent un nouveau niveau d’observation, souvent plus continu et moins soumis aux biais d’auto-évaluation.

Réceptions contrastées : attentes, réserves et questions éthiques.

Plusieurs questions posées par les participants ont fait émerger des enjeux majeurs :

Acceptabilité

Une question récurrente portait sur la capacité des patients à accepter un suivi de données passives.

Le Dr Gabriel Robert psychiatre au centre hospitalier Guillaume-Régnier rappelle que :

« les patients sont souvent demandeurs d’outils qui donnent de la visibilité sur leur état. »

Selon lui, la difficulté se situe souvent du côté des professionnels, en particulier :

  • La charge mentale des soignants, liée aux traitements de données supplémentaires et à la nécessité d’intégrer ces informations dans leur pratique quotidienne ;
  • La crainte d’une intrusion dans la relation thérapeutique si les données deviennent trop nombreuses ou difficiles à interpréter ;
  • Un modèle économique incertain, qui rend difficile l’appropriation d’outils numériques non stabilisés.

Inégalités sociales et numériques

Une participante soulève le risque que ces outils soient moins fiables chez les personnes les plus précarisées ou les moins équipées.

C’est un point clé, un outil numérique mal-dimensionné peut renforcer des inégalités déjà existantes.

Un outil numérique mal calibré peut renforcer des inégalités déjà existantes, notamment si :

  • les données sont moins complètes chez certaines personnes,
  • les modèles sont entraînés sur des populations peu représentatives,
  • les outils sont plus accessibles et plus performants pour des usagers déjà bien équipés.

Intrusion perçue

Plusieurs questions portaient sur la frontière entre données utiles et données trop personnelles (géolocalisation, interactions sociales, etc.).

Le Pr Ludovic Samalin a rappelé que :

« L’usage doit rester limité, lisible et cadré. La distinction entre bien-être et dispositif médical est essentielle. »

Il a souligné que le statut de dispositif médical numérique impose un cadre strict sur la nature des données collectées et leur finalité.

Prédiction et responsabilité clinique

Un intervenant demande :

« Si un algorithme signale un risque, qui agit, comment et dans quel délai ? »

Le Dr Gabriel Robert et le Pr Ludovic Samlin ont rappelé que :

« Ces systèmes doivent rester adossés à un professionnel. Ils ne peuvent pas fonctionner en autonomie. »

Cette position a été partagée par l’ensemble des intervenants de l’atelier.

Comprendre les variations de réponse aux traitements : un axe de recherche structurant

L’un des points abordés lors de l’atelier portait sur un enjeu bien connu en psychiatrie : la grande variabilité de la réponse aux traitements.

Deux personnes recevant la même molécule n’évoluent pas nécessairement de la même manière, ce qui complique l’anticipation clinique et la personnalisation de l’accompagnement.

Sur ce sujet, Chloé Geoffroy, intervenante spécialisée en modélisation appliquée à la santé mentale, a présenté une lecture synthétique des travaux actuellement menés dans le domaine.

Ces recherches impliquent généralement :

  • des équipes hospitalières travaillant sur le phénotypage numérique,
  • des unités de pharmacologie clinique,
  • et des groupes dédiés à la modélisation et à l’analyse explicable.

Elles mobilisent plusieurs sources de données :

  • données cliniques,
  • éléments pharmacologiques (variabilité interindividuelle, ajustements),
  • biomarqueurs numériques mesurés de manière passive.

L’objectif présenté n’est pas de produire des recommandations de traitement, mais de mieux comprendre quels facteurs influencent la réponse thérapeutique.

Cette démarche vise à éclairer les mécanismes sous-jacents, sans remplacer l’évaluation clinique ni se substituer au jugement du professionnel.

Les limites à prendre en compte pour un usage réel du phénotypage digital en santé mentale

L’atelier a identifié plusieurs obstacles au déploiement du phénotypage digital en santé mentale.

Sur le plan technique

  • forte variabilité individuelle ;
  • besoin de données importantes pour stabiliser les modèles ;
  • représentativité limitée de certaines pathologies.

Sur le plan clinique

  • l’approche ne remplace ni l’entretien ni la relation thérapeutique ;
  • certains signaux sont sensibles au contexte ;
  • utilité variable selon les situations.

Sur le plan réglementaire et organisationnel

  • absence de dispositifs médico-numériques remboursés en psychiatrie ;
  • télé-surveillance encore en structuration ;
  • exigences élevées en matière de protection des données. Ces points expliquent pourquoi le déploiement se fait progressivement.

Ce que cela change pour les jeunes, les aidants et les professionnels de santé

Pour les jeunes Le phénotypage digital peut offrir un suivi plus discret, moins intrusif, et mieux adapté à des rythmes de vie instables. Mais il exige une bonne compréhension : ce ne sont pas des outils de diagnostic automatique.

Pour les aidants Un suivi plus continu peut aider à repérer tôt les changements dans le fonctionnement quotidien d’un proche. Les aidants doivent toutefois être informés de la portée, mais aussi des limites, de ces outils.

Pour les professionnels Ces données peuvent enrichir l’évaluation, surtout dans les moments où l’état fluctue rapidement.

Mais elles imposent :

  • une vigilance éthique,
  • un cadre clair d’utilisation,
  • et du temps dédié pour les intégrer réellement dans le soin.

Phénotypage digital en santé mentale : Un outil complémentaire, jamais autonome

Le message final des intervenants a été clair :

« Les données numériques ouvrent une nouvelle fenêtre sur le fonctionnement psychique, mais elles n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans une relation clinique. »

Le phénotypage digital n’annonce pas une psychiatrie automatisée.

Il marque l’arrivée d’un nouveau niveau d’observation, complémentaire, continu et parfois précieux mais toujours dépendant du jugement des professionnels et du consentement des personnes concernées.

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